Le Brouillon
Qu’est-ce qui nous pousse à vivre, quand il ne reste plus rien ?
Résumé
L’apocalypse a eu lieu. Quand, on ne le sait pas, comment ? On ne le sait pas. Que savons-nous ? Qu’un homme ("l’homme") et son jeune fils ("le petit") ont survécu et qu’ils se rendent au sud, poussant leur caddie rempli de leurs maigres possessions, cherchant espoir et se donnant un but.
Critique
Suffocant. Une atmosphère cataclysmique, où tout n’est que grisaille, poussière, silence, où la vie est morte et que le soleil est un lointain fantasme. Il faut s’y faire. Une terre déshumanisée, dépeuplée, où l’anthropophagie est le remède des méchants contre la faim persistante, où les personnes n’ont plus de noms. Une oppression constante, par le temps qui ne passe pas, les kilomètres qui ne diminuent pas, le ciel toujours gris, la menace permanente de finir en rôti.
Les deux hommes avancent, tels des zombies, dans le seul but qu’il leur reste : atteindre le sud, par la route. Cette route interminable sur laquelle il faut avancer coûte que coûte, où chaque virage est un danger potentiel, où chaque branche brisée ralentit la cadence, route par laquelle le salut est envisagé, mais également route par laquelle la mort peut atteindre...
Une atmosphère de fin du monde, qui donne le cafard (préparez-vous du cyanure dans un coin), et où on se demande : pourquoi persistent-ils, qu’est-ce qu’ils cherchent ? Ils ont un revolver et deux balles, pourquoi ne pas en finir ? Ce serait tellement plus simple... La tentation est parfois grande, mais non, ils "portent le feu", il faut continuer.
Éloge de la paternité, où l’homme, même s’il est intraitable et farouche, même s’il ne fait plus confiance aux hypothétiques hommes qu’ils croisent, fait preuve d’une grande humanité envers son fils, et lui apprend qu’il faut vivre, quoi qu’il arrive. Il lui apprend ce qu’il sait ; mais que lui apprendre de plus quand tout ce que l’on connaît est mort ? Pourquoi lui apprendre à lire, quand tous les livres ont été brûlés, ou sont moisis ? Où se situe l’inutile, où se situe l’essentiel dans cette existence vide où seuls les besoins primaires se rappellent à vous chaque minute, où la faim tiraille ? Comment penser à demain, comment penser à reconstruire, comment songer à une autre vie, quand celle-ci vous maltraite ? En bref, qu’est-ce qui nous pousse à vivre, quand il ne reste plus rien ?
Rien de sensationnel dans le déroulé de l'histoire, rien que de l’angoisse, du peut-être, du vide. Rien ne se passe ou presque, et c’est ça qui est désolant.
Certains diraient "l’espoir c’est la fuite" , ici ce serait plutôt "l’espoir c’est la route".
Presque pas de ponctuation, pas de virgules, on est à court de souffle dans ce roman, comme se doivent d’être nos deux héros, qui se savent en perpétuel danger et ne peuvent se permettre de traîner en route. Nous non plus, donc.
Extrait :
« Il s’était réveillé avant l’aube et regardait poindre le jour gris. Lent et presque opaque. Il se leva pendant que le petit dormait et il mit ses chaussures et enveloppé dans sa couverture il partit entre les arbres. Il descendit dans une anfractuosité de la paroi rocheuse et là il s’accroupit et se mit à tousser et il toussa pendant un long moment. Puis il resta agenouillé dans les cendres. Il leva son visage vers le jour pâlissant. Il chuchota : Es-tu là ? Vais-je te voir enfin ? As-tu un cou que je puisse t’étrangler ? As-tu un cœur ? Maudis sois-tu pour l’éternité as-tu une âme ? Oh Dieu, chuchotait-il. Oh Dieu. »
La route, Cormac McCarthy. Éditions Points, page 17.