Trois péchés du guerrier

Découverts par Dumézil, qui a travaillé sur ce sujet de 1956 à 1985 après avoir démontré la division de la société en trois classes, chacune ayant un dieu spécifique dans les cultures indo-européennes (et qui a donné la très connue trilogie : Noblesse (ceux qui se battent), Clergé (ceux qui prient) et Tiers Etat (le reste, ou plutôt les travailleurs manuels, les artisans)).


Dumézil s'est attaché à définir une occurrence : les trois péchés du guerrier. Il a débuté cette recherche en 1956 dans Aspect de la fonction guerrière chez les indo-européens . Il la complète dans Mythes et épopées II et aboutit en 1985 dans Heurts et malheur du guerrier . Il s'intéresse à un problème : la récurrence pour le guerrier de trois péchés dans les mythologies indo-européennes. Sa recherche va aller de l'Islande à l'Inde en passant par Rome.

Il découvre le thème de la triple faute trifonctionnelle du guerrier dans la mythologie védique et va par la suite la rechercher dans d'autres mythologies. Le thème n'est pas visible dès la première lecture, il apparaît en substrat : cela nécessite donc une patiente relecture des mythes afin de voir si cela apparaît ou au contraire n'apparaît pas. Dumézil se rend très vite compte que c'est un thème récurrent et il s'attache à le démontrer de 1956 à 1985, tout en restant très prudent dans sa formulation.

En effet, dans la mythologie védique où Dumézil découvra ce thème, un mythe raconte que Indra faute par 3 fois (Indra représente la fonction guerrière). Il commet en effet une faute en tuant le fils de Viastr, il commet un BRAHMANICIDE (il faute donc contre la première fonction). Viastr se venge en créant un monstre : Vrtra qu'Indra va tuer par RUSE car il dépêche les 7 sages auprès de Vrtra pour trouver un arrangement, et Indra en profite pour le tuer (il faute donc contre la deuxième fonction, la fonction guerrière car c'est lâche). La troisième faute est faite quand Indra prend l'apparence de Gautama pour abuser de l'épouse de celle-ci (il faute contre la troisième fonction, celle de la fécondité). A chaque faute, Indra perd une partie de lui-même. Lors de la première faute, il perd sa majesté. Pour la deuxième faute, il perd sa force physique (bala) et pour la troisième faute, il perd sa beauté corporelle (gaupa). Indra est donc diminué à chaque fois. Lorsque Indra perd ces qualités, les démons en profitent pour s'incarner sur la terre et oppresser les humains. Pour les vaincre, les dieux s'incarnent sur terre en héros (c'est l'histoire du Mahābāratā). Exemple : le dieu Dharma va s'incarner en Yudishtura, avec comme qualité suprême, la majesté. Vayou s'incarne en Bima (qualité : la force physique), Indra s'incarne en Aradjuna (qualité : la force virile), les deux Nasatya (des jumeaux) reçoivent comme qualité la beauté apparente. Les qualités perdues par Indra se réincarnent et réapparaissent sur terre.

Cette découverte va entraîner la recherche des parallèles dans d'autres mythologies. Dumézil en trouve en Scandinavie, en Grève, en Inde...

  • en Inde : Sisupala : cousin de Krishna, c'est un Asura (être ténébreux) qui est pris entre sa nature ténébreuse et la bienveillance de Krishna. Un jour, en l'absence de Krishna, Sisupala cède à sa nature : il brûle la capitale de Krishna, et attaque par ruse les Ksatrya (caste des guerriers -> 1è faute envers la deuxième fonction), puis il empêche le bon déroulement d'un sacrifice accompli par le père de Krishna (2e faute, envers la première fonction), et il prend l'apparence du mari d'une princesse pour abuser d'elle. Les trois péchés contre les trois fonctions sont commis : Sisupala est décapité par Krishna.

  • En Scandinavie : Starkatur est un champion qui est pris entre les rivalités entre Odin et Thor. Il apparaît comme le mercenaire qui loue ses services. Il assiste Odin dans un sacrifice humain (qui n'est autre que le roi de Suède) -> meurtre contre la première fonction. Pour la deuxième faute, il fuit l'ennemi alors que le roi de Norvège meurt sur le champ de bataille (2e fonction : faute car lâcheté), et comme troisième faute, il tue le roi danois contre une somme d'argent (3e fonction, qui est liée dans les pays nordique à la richesse plus qu'à la fécondité et à la féminité). Il transmet son savoir de guerre à un jeune héros, qui a très bien retenu les leçons puisqu'il décapite Starkatur.

  • En Grèce : Héraklès est quant à lui pris entre la malveillance d'Héra et la bienveillance d'Athéna. Selon Diodore de Sicile, Héraklès pèche contre la première fonction en tuant ses enfants (car il désobéit à Zeus, qui lui a ordonné de servir quelqu'un dont le nom m'échappe ; Héra va lui insuffler la folie). Dans les douze travaux, il va utiliser la ruse pour tuer Iphitos, le fils d'Eurythos, car ce dernier n'a pas voulu lui accorder la main de sa fille. Héraklès se venge en volant les juments du roi. Le fils le soupçonne, part à sa recherche, monte en haut d'une tour (ou d'une montagne selon les versions) d'où Héraklès le précipité dans le vide (ruse -> 2è faute contre la 2è fonction : la fonction guerrière). Enfin, alors qu'il est marié, Héraklès cède à sa passion pour une autre femme : Iole -> 3è faute. Son épouse Déjanire, croyant lui donner un philtre d'amour, répand un poison puissant sur sa tunique. Héraklès souffre le martyre et finit par se jeter dans un bûcher.

Ceci met en évidence comment le dieu (ou héros) guerrier est amené à pécher contre les trois idéaux de la trilogie fonctionnelle. Il est le seul à pouvoir fauter car :
  • les dieux de la première fonction ne peuvent pas pécher contre eux-mêmes
  • et ceux de la troisième fonction servent les deux autres fonctions.

Il n'y a donc que le guerrier qui est pris entre deux forces, deux choix : comme il doit déjouer les plans de l'ennemi, il enfreint les idéaux pour parvenir à ses fins.

L'intuition de Dumézil et ses travaux seront confirmés par Dubuisson, qui trouve de nouvelles correspondances dans le Ramayana, dans des romans arturiens celtes ainsi que dans Tarquin. Ce thème peut donc être considéré avec vraisemblance comme hérité du monde indo-européen.

L'idéologie trifonctionnelle a perduré à travers les siècles. Dubuisson a montré que le christianisme irlandais a conservé ces trois fonctions mais en les réorientant pour que cela devienne des vertus. Saint Colomban présente les rois qui iront au ciel :
  • le premier est le roi d'Oriel car il n'a commis aucun forfait sur aucun clerc de l'Eglise ;
  • le 2è est le roi de Connaught, car il a réussi à vaincre toute une armée en lançant son char de guerre contre l'ennemi, alors que son armée allait être massacrée ;
  • le 3è est le roi d'Oeseri, qui, malade, laissa son or à la merci des ennemis qui assaillaient son domaine.

 
 
~jamesB~ Publié le : 28/04/2006

 

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Je me suis aperçue que je n'ai pas vraiment détaillé ces trois fonctions: dans les civilisations indo-européennes, on retrouve très souvent une sorte de trilogie divine très importante.
Chacun des Dieux symbolise une partie ou un aspect de la société (parfois on peut avoir une division de la société en castes, mais pas toujours) :

la première fonction est la fonction religieuse et politique, symbole de la souveraineté et de la majesté (caste des brahmanes en Inde -> Dieu Mitra et Varuna, Jupiter à Rome, Tyr et Odin en Germanie...);

la deuxième fonction est la fonction guerrière, symbole de la force (les Ksatrya en Inde -> Indra, Mars à Rome, Thor en Germanie...);

la troisième fonction est la fonction artisanale, symbole de la fécondité et de la richesse (les Nazsatya en Inde, Quirinus à Rome, Freyr en Germanie...).



~jamesB~ le 00-00-0000 à 00:00
 

La ruse dans ce cas-là est lâche, surtout parce qu'elle consiste à attaquer par derrière, à l'insu de l'autre, pas très honnête donc, ça ne vaut pas l'honneur d'un combat en duel



~jamesB~ le 00-00-0000 à 00:00
 
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