Clavecin

Brève histoire du clavecin, du piano-forte et des interprétations dites "historiques" de la musique ancienne.


Le nom du clavecin signifie littéralement " cymbale à clavier " (clavicymbalum en latin, qui a donné Clavecimbel en allemand). Il s'agit, en fait, d'une version plus élaborée de la cithare ou du psaltérion, qui sont deux instruments à cordes pincées portatifs. On pince les cordes de ces instruments avec des plectres attachés au bout des doigts. Pour obtenir un instrument plus puissant, on a tout d'abord agrandi la caisse de résonance : il a fallu alors le doter de pieds. On a agrandi sa tessiture (l'intervalle entre la note la plus grave et la note la plus aigüe). Dans le même temps, on a créé un système assez simple pour pouvoir commander les plectres à partir d'un clavier. Les plectres ont été placés à l'horizontale sur des baguettes de bois appelée sautereaux ; ceux-ci sont disposés verticalement, et reliés directement aux touches du clavier par une baguette de bois. Lorsqu'on enfonce une touche, le sautereau se soulève et permet au plectre de pincer la corde, tendue horizontalement sur la caisse de résonance. Lorsqu'on lâche la touche, le sautereau s'abaisse et un petit carré de feutre se place sur la corde, arrêtant les vibrations. Tout cela fut mis au point probablement au début de la Renaissance.

Il existait plusieurs versions de cet instrument :
Le virginal est une variante du clavecin d'origine anglaise, rectangulaire et plus petit. On le connaissait également en Hollande, où on le nommait muselaar . Il existait cependant quelques différences entre les deux instruments : le clavier du virginal anglais se situait sur la droite de l'instrument, alors que celui du muselaar était à gauche. On peut voir des représentations de muselaar hollandais sur plusieurs tableaux de Vermeer, notamment la Leçon de musique , qui représente une femme debout et de dos jouant de cet instrument, tandis qu'un jeune homme à sa droite l'observe. Sur le couvercle ouvert, on peut lire la phrase suivante en latin : La musique est la compagne de nos joies et la consolation de nos peines.
A la Renaissance, le virginal en Angleterre et le muselaar en Hollande avaient un peu le statut du piano droit ou du clavier électronique aujourd'hui : tout un chacun pouvait en posséder un chez soi, et pianoter pour son plaisir. C'était également le cas de l' épinette française, qui avait la forme d'une aile d'oiseau (vaguement triangulaire). Le clavecin proprement dit était un instrument de luxe, un peu comme le piano à queue actuel : seuls les plus fortunés pouvaient se permettre d'en posséder un.

Le répertoire pour le clavecin est important : en fait, de nombreuses pièces qui sont jouées principalement au piano de nos jours ont été écrites pour le clavecin, car le piano...n'existait pas ! C'est le cas notamment de tout le répertoire pour clavier de Bach (sauf les pièces pour orgue), de Rameau ou de Scarlatti. Le piano-forte ne fut inventé qu'à la moitié du XVIIIè siècle. Les premières éditions des sonates pour clavier de Mozart et de Beethoven portent l'indication : " Pour clavecin ou piano-forte " , preuve que les deux instruments cohabitaient alors, le piano-forte étant même relativement rare. Cependant, le clavecin a été définitivement éclipsé par le piano-forte au début du XIXè siècle, époque où il tomba en complète désuétude. On lui reprochait notamment son manque d'expressivité et de puissance, et l'impossibilité de faire des nuances, ce que le nouveau venu permettait - d'où son nom de pianoforte, à ses débuts. (Piano et forte sont des indications de nuances en musique, et signifient respectivement doux et fort). On oublia même l'art de l'accompagnement au clavecin, le continuo, qui consistait à improviser un accompagnement d'après une basse et des notations chiffrées signifiant les accords qu'il fallait jouer (un peu comme dans le jazz). J.S.Bach était célèbre pour son art du continuo, ainsi que Mozart, qui se plaignait, lorsqu'il dirigeait ses propres œuvres, de l'incapacité des musiciens de son temps (clavecinistes au continuo, ou chanteurs) à improviser de manière satisfaisante. C'est d'ailleurs à Mozart que l'on doit le dernier continuo de l'histoire de la musique : il s'agit de la basse de son fameux Requiem inachevé. Après lui, plus personne n'écrira des parties de basse chiffrée, mais tous écriront des parties d'accompagnement dans lesquelles toutes les notes seront marquées, laissant peu de place à l'improvisation. On oublia le répertoire pour clavecin des siècles passés, lui préférant la musique écrite directement pour cet instrument moderne qu'était alors le piano.

Cependant, vers le milieu du XIXè siècle, Mendelssohn " ressuscita " la musique de Bach, qui n'était pratiquement plus jouée depuis sa mort en 1750. Son interprétation d'une Passion, avec un orchestre symphonique, fut une révélation dans le monde de la musique. On voulut rejouer les maîtres du passé : alors, des pianistes écrivirent et éditèrent des accompagnements pour le piano très élaborés, à partir des indications de la basse chiffrée, suppléant ainsi à l'oubli généralisé de la pratique du continuo. Au début du XXè siècle, une pianiste d'origine polonaise, Wanda Landowska, se mit en tête de ressusciter l'instrument disparu. Elle et le facteur de piano Pleyel en construisirent un, en s'inspirant des clavecins conservés ici ou là dans des musées (et qui n'étaient d'ailleurs pas tous en état de fonctionnement) ; cela dit, le clavecin de Pleyel était beaucoup plus grand et plus lourd que les clavecins d'époque. Il était également doté de pédales d'expression, tout comme le piano (le clavecin, à l'origine, en était dépourvu). Wanda Landowska fit sensation, en jouant sur cet instrument délicieusement désuet les pièces du répertoire que le piano s'était arrogées. Il fallut cependant attendre quelques dizaines d'années, et des musiciens comme Ralph Kirkpatrick (Canada), Gustav Leonhardt (Pays-Bas) ou Nikolaus Harnoncourt (Autriche ; il était violoncelliste dans l'Orchestre Philharmonique de Berlin, avant de créer sa propre formation, le Concentus Musicus Wien), pour se replonger dans la poussière des anciens traités de musique, et pour reconstruire des instruments à l'identique. On fabriqua à nouveau des clavecins, des violes de gambe et des flûtes, en copiant les instruments conservés et en se basant sur les traités de l'époque. On remit en état les instruments anciens. On reconstitua une manière de jouer, que l'on dit " historique ", toujours d'après les traités que l'on put retrouver. Les " orchestres baroques " fleurirent entre les années 1970 et aujourd'hui. Cependant, ces musiciens qui cherchent une manière plus " authentique " de jouer la musique ancienne disent toujours la même chose, à savoir que leur interprétation n'est qu'une interprétation, comme toutes les autres sujettes à caution, et que personne ne pourra jamais dire comment Bach, ou Mozart, faisaient jouer leurs œuvres. Ils disent qu'ils sont à la recherche d'une manière de jouer plaisante pour l'instrumentiste, et qui sonne agréablement, sur des instruments semblables à ceux que les compositeurs de l'époque ont connus.

 
 
~carroll ex nihilo~
Publié le : 28/07/2006

 

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Très bon article.

~Frank Mento~

 

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