Antisémitisme, une longue histoire
Un article essayant de faire la synthèse sur l'antisémitisme.
Pourquoi l'antisémitisme ?
A l’origine le mot Sémite désignait les peuples sémites dans leur ensemble, arabes, perses et juifs, supposés partager un même groupe de langues, et dont le père, selon la Bible, est Sem, fils de Noë.
Antisémitisme, dans l’acception restrictive de haine des juifs : on considère que le mot apparaît en 1879 sous la plume d’un auteur antisémite allemand, Wilhelm Marr.
Dans les faits, et quelque nom qu’on lui donne depuis l’Antiquité, (antijudaïsme, judéophobie) l’antisémitisme renaît périodiquement de ses cendres, adapté aux exigences de l’époque.
Qu’est-ce que l’antisémitisme ?
C’est l’une des doctrines de haine les plus anciennes et les plus mortifères. Elle a traversé et irrigué les âges jusqu’à nos jours. Or, la haine en général, et plus précisément la haine antisémite, a ceci de particulier qu’elle se suffit à elle même - contrairement à l’amour qui ne vaut que s’il est partagé - et ne requiert aucun savoir particulier, aucune culture, aucune vérification.
Il suffit de croire. Pour celui qui l’éprouve, la haine antisémite est pure délectation puisque, de facto, à quelque niveau de la société qu’il appartienne, il se perçoit supérieur en tout à l’objet de sa haine, affublée de toutes les turpitudes.
Les diffamations antisémites au fil du temps : les juifs ont été accusés, on les accuse encore, d’être, crime capital, les assassins du Christ, (ce que professait l’Eglise jusqu’à Jean XXIII et le concile Vatican II, au début des années 60]), des adorateurs d’une tête de veau en or, des profanateurs d’hosties, des empoisonneurs de puits, des propagateurs de peste, des tueurs d’enfants chrétiens dont ils utiliseraient le sang pour la fabrication du pain de la Pâque juive - (le dernier procès connu à ce propos ne date que de 1911-1913 à Kiev en Russie), d’être des usuriers, des conspirateurs en vue de dominer le monde, et last but not least, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, d’avoir purement et simplement inventé les camps d’extermination nazis, à commencer par Auschwitz et Treblinka. Cette dernière théorie a un nom : Négationnisme.
Origine de l'antisémitisme
On est en droit de penser - textes à l'appui - avec l'érudit Théodore Reinach (1860-1928) [archéologue, historien, mathématicien, homme politique...] que cette doctrine de haine prend sa source avec l'apparition même du Judaïsme autour de 1300 ans avant notre ère au Proche Orient. Car il s'élabore autour de l'idée d'un seul et unique Dieu, prescripteur d'une morale de vie exigeante, parmi des peuples païens qui croient en des dieux et déesses multiples, (dieux du soleil, de la terre, de la guerre, de la chasse, du feu, etc.), des dieux qui ont des comportements et des défauts quasi humains.
Or, les Juifs voulant imposer leur monothéisme moral et pointilleux, se firent très vite des ennemis. Non seulement ils voulaient détruire les idoles, mais au lieu de se conduire comme les païens et de vénérer César, l'empereur romain divinisé, ils s'y refusaient, tout comme ils refusaient d'adorer les dieux de la cité à côté de leur Dieu unique. Ce sera le premier grief.
Autre grief, leur loi régissant tous les moments de la vie, publique et privée, isole les Juifs d'autant plus qu'elle interdit de se marier en dehors de la communauté juive. Mais le catholicisme n'aimait pas non plus les mariages mixtes !
Il faut aussi citer la force de la littérature : avec le Shylock de son "Marchand de Venise", Shakespeare lui-même a contribué à renforcer l'hostilité contre les Juifs.
Au fil des siècles, l'antisémitisme, devenant un outil aux mains des responsables politiques, s'est développé en fonction des lieux, des époques et des évènements.
A quoi sert l'antisémitisme ?
L'antisémitisme a d'abord des racines religieuses, on l'a vu. Le christianisme, qui a travers les siècles a adoubé les souverains chrétiens, - sacre de Charlemagne à Rome, de Charles VII à Reims, ville des sacres royaux français - oublieux des persécutions que lui firent subir les Romains, entre le 1er et le 4è siècle, et qui compta tant de martyrs - a beaucoup œuvré en ce sens ; ce que l'historien Jules Isaac appelait "l'Enseignement du mépris".
Quelques exemples : Le Concile de Latran, en 1215, obligea les Juifs à porter un vêtement ou un signe distinctif, la "rouelle", de couleur jaune supposée rappeler les 30 deniers de Judas.
En 1267, le concile de Vienne exige que les juifs portent un chapeau pointu.
En 1269, Saint Louis en personne ordonne aux juifs de porter non pas un mais deux signes distinctifs de couleur jaune.
En Espagne, au milieu du XVè siècle, les Juifs devront se convertir - et les marranes, ces juifs convertis qui continuaient à judaïser en cachette, seront soumis à l'inquisition, à la torture, au bûcher. En 1492, ils seront expulsés du pays.
Au Moyen Age, une tradition toulousaine voulait que le jour de la Pâque chrétienne un représentant de la communauté juive soit giflé en public. On n'y allait pas de main morte, puisqu'il arriva que le giflé y perdît un œil. Il faut aussi évoquer l'interdiction faite aux Juifs d'exercer toute une série de métiers et même de s'installer dans certaines villes.
Rapidement, l'antisémitisme a pris une dimension politique : les princes et rois qui gouvernaient le monde - et pour certains qui le gouvernent encore - utilisaient l'antisémitisme pour détourner le mécontentement des opinions publique sur les Juifs, prétendument responsables de tous leurs malheurs. Ainsi cycliquement, naissent des lois d'exclusion, des édits d'expulsion, éclatent des pogroms encouragés par l'Etat, au cours desquels, en Russie et en Pologne particulièrement, les juifs sont persécutés, dépouillés, et leurs boutiques dévastées avec la bénédiction du gouvernement.
Les derniers pogroms en Pologne ont eu lieu en 1941 et juste après la deuxième guerre mondiale, en 1946.
Pour étayer leur doctrine de haine, les mêmes n'hésitent pas à exploiter l'idée du "complot juif pour la domination du monde" en fabriquant des faux ; l'un de ces faux, le plus communément diffusé aujourd'hui encore y compris sur le Net, est un livre intitulé "Protocoles des Sages de Sion". Ce livre prétend révéler le supposé plan des juifs pour dominer le monde. Cette forgerie, œuvre de plusieurs faussaires, et datant de 1898, avait été commandée par la police secrète du tsar, pour détourner le mécontentement des russes à l'égard des réformes impopulaires de Nicolas II. Il est toujours diffusé dans certains pays du monde et sur Internet.
Si l'on devait établir la bibliographie de l'antisémitisme, la liste en serait interminable.
Quelques clichés antisémites
Empoisonneur de puits et propagateur de peste
Au Moyen Age on ne connaît pas les modes de contamination des maladies. Et les épidémies ne manquèrent pas, touchant moins fréquemment les Juifs. En réalité, les juifs souvent confinés dans les ghettos, observaient strictement les commandements religieux parmi lesquels l’obligation permanente de se laver les mains (avant de passer à table en particulier)
Négationisme : Ce terme désigne une théorie parfaitement fabriquée consistant à accuser les juifs d’avoir inventé le massacre de masse opéré par les nazis contre les juifs, pour en tirer des bénéfices pécuniaires. Or, qui veut trouver les preuves – en dehors des témoignages de quelques rares rescapés – peut les trouver dans diverses archives ; il existe un guide des sources : « Les archives de la Shoah » (ed. CJDC). Il y a aussi le document d’un pharmacien, Jean-Claude Pressac, a priori négationiste mais qui avait entrepris un travail de recherche afin de prouver le mensonge d’Auschwitz. A l’arrivée, il n’a pu que démontrer le contraire et a publié : « Les crématoires d’Auschwitz – La machinerie du meurtre de masse » - CNRS Editiosn)
Protocole des Sages de Sion
Ce travail est un collage de différents textes manipulés dont le plus connu est « Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu » un pamphlet contre Napoléon III dont on s’est contenté de remplacer le mot empereur et Napoléon par le mot Juif. Mais il y a aussi juxtaposition d’extraits pris dans Eugène Süe, ou dans « Joseph Balsamo » d’Alexandre Dumas. On sait depuis 1921, grâce aux recherches d’un journaliste du Times anglais que les Protocoles sont un faux. Depuis l’ouverture récente des archives russes, on en a aussi une large confirmation. Mais la légende n’en persiste pas moins.
Shylock
Shakespeare avec « le Marchand de Venise » a fait de l’usurier Shylock le prototype du juif assoiffé d’or, cruel, prêt à tout pour l’argent. Il a contribué à jeté l’opprobre contre les « usuriers juifs ». Il se trouve que des recherches historiques prouvent que bien de ces prêteurs étaient aussi de braves gens, souvent généreux.
Usurier
Le terme a pris une tournure péjorative, mais l’usurier au Moyen Age n’est pas autre chose qu’un banquier. Il prête de l’argent, à intérêt, comme aujourd’hui les banques. Et si les juifs ont souvent été des banquiers c’est pour des raisons toute simples : - d’une part, tout une série de métiers leur ont été interdits au cours des âges. D’autre part, « l’usure » était interdite par l’Eglise s’appuyant la Bible :
« Tu n’exigeras de ton frère aucun intérêt ni pour argent, ni pour vivres, ni pour aucune chose qui se prête à intérêt. (Deutéronome, XXIII, 19-20)
« Le Christ dit : « Si vous ne prêtez qu’à ceux dont vous espérez restitution, quel mérite avez-vous ? Car les pécheurs prêtent aux pécheurs afin de recevoir l’équivalent… Prêtez sans rien espérer en retour et votre récompense sera grande » (Luc, VI, 34-5)."
Or, il n’y a pas de commerce possible sans prêt à intérêt !
Notons d’ailleurs, que les Juifs n’ont évidemment pas le monopole de la banque : banquiers Lombards, et banquiers Protestants, sont eux aussi réputés pour leur talent.
Pogroms
Opération « punitive » soutenue par un gouvernement consistant à agresser physiquement les Juifs et à détruire leurs biens (demeures, magasins ...)
~Deborah Bernard~
Publié le : 16/10/2008
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Pour une histoire des fameux Protocoles des Sages de Sion, voir un petit livre d'Umberto Eco : Six Promenades dans les bois du roman et d'ailleurs, dans le Livre de Poche, dernier chapitre. Il y établit les liens de filiation entre ce texte et des romans populaires, français en particulier. Eco utilise cette histoire comme exemple, ô combien édifiant, étayant les théories sur le rôle du lecteur dans la construction du récit (à mesure qu'il lit, le lecteur reconstruit le récit en se basant sur des schémas narratifs connus de lui). Il est donc intéressant de lire tout ce qui précède pour prendre la mesure de ce qui s'est passé avec les Protocoles. C'est un exemple terrifiant du pouvoir de l'interprétation porté à un point extrême et utilisé à des fins criminelles.
D'autre part, Gérard Mordillat et Jérôme Prieur ont écrit il y a quelques années Jésus après Jésus (Editions du Seuil, collection Points Sagesse), sur les origines du christianisme et sur ce qui, pratiquement dès le départ, a séparé de façon radicale juifs et chrétiens, jusqu'aux drames évoqués dans l'article. C'est un livre intéressant. Malgré quelques imprécisions et contradictions, son argumentation basée sur une lecture littéraire des textes fondateurs chrétiens (canoniques ou non) vaut le détour.
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