Anquetil Duperron
Erudit, voyageur aventurier... c'est lui qui a rapporté en Europe les premier textes védiques et avestiques et qui les a traduits.
Né à Paris en 1731, il avait fait des études classiques à la Sorbonne, où il avait appris l'hébreu, puis avait été initié à l'arabe et au persan. Anquetil Duperron se rendit alors compte qu'aucun savant de France ou d'Angleterre ne maîtrisait ni le sanscrit, ni le zend, et que le trésor à portée de la main était un objet vierge. Il pouvait commencer sur place une carrière d'érudit, mais sans doute l'appel du voyage, appel intérieur et irrésistible, a-t-il commandé l'impulsion qui l'engagea sur la route de l'Inde, autant que la vue d'un feuillet de manuscrit.
Il pouvait obtenir une mission. Il avait des protecteurs puissants, à qui il avait soumis son projet. Mais une grande volonté d'indépendance lui fit décider de ne devoir qu'à lui-même son entreprise. A l'insu de tous, même de sa famille, il s'enrôla comme simple soldat dans une compagnie anglaise en partance pour l'Inde. En arrivant à Lorient il apprit qu'il était remis de son engagement, gratifié d'un passage sur un vaisseau de la Compagnie des Indes et doté d'une modeste pension. Ses protecteurs avaient compris sa folie et agi à son insu. Mais il continua et traversa seul les conflits et de nombreux états, souvent démuni de passeport, forçant des douanes et des postes de garde, pistolet au poing, parfois soupçonné d'espionnage, arrêté, relâché, n'ayant jamais que des appuis incertains, victime de fièvres et d'une gamme de maladies dont on ne peut faire le compte. Il atteignit Surate le 1er mai 1758. C'était le plus grand centre du commerce de l'Océan indien. Anquetil Duperron assista à la prise de l'hégémonie par les Anglais. Il ne se rangea d'aucun côté.
Il rencontra enfin, après trois années d'errances et d'aventures, des destours, docteurs parsis versés dans les textes sacrés de la vieille religion iranienne. Trois d'entre eux, principalement le vénérable destour Darab se prêtèrent à ses demandes de manuscrits et lui enseignèrent leurs langues et leur religion. Cependant, le contact entre les deux cultures ne se fit pas sans heurts . En définitive, il se réalisa une rencontre intellectuelle de la plus haute qualité entre le jeune français et le destour Darab. Anquetil Duperron acquit ou copia des manuscrits fondamentaux et recueillit l'explication de leur contenu. De plus, il enquêta de manière approfondie sur la pratique de la religion parsie. Chose très rare pour un européen, le 20 juin 1760, il put même visiter avec son maître un temple du feu, .
La réussite était complète. Mais ce n'était qu'une première partie de la mission qu'il s'était donnée. La deuxième partie était la quête des Vedas. Il s'y engagea avec la même ardeur. Mais ce second grand projet avorta. Survint alors la prise de Pondichéry par les Anglais. Il accepta alors de retourner en Europe, et embarqua sur un vaisseau anglais, avec une caisse contenant ses papiers et 180 manuscrits. On le débarqua en Angleterre, puis il parvint, non sans difficultés, à embarquer pour la France. Il arriva à Paris le 14 mars 1762 et déposa à la Bibliothèque du roi "LES OUVRAGES DE ZOROASTRE" et les autres manuscrits qu'il avait, destinés pour ce précieux trésor. Dès son retour la Bibliothèque du roi l'engagea comme interprète pour les manuscrits orientaux. Son premier ouvrage d'importance parut en 1771 : le Zend Avesta en trois volumes. Le premier est consacré en entier au récit de son voyage. On attendait un livre d'érudition : ce un récit qui passionna l'Europe entière.
Anquetil Duperron s'y révèle tout d'abord un grand écrivain. Il raconte ses aventures, ses maladies, ses déboires, ses querelles, ses succès, sans plaintes, sans complaisance, sans plaidoyers. Il se juge lucidement. Il entend tirer une philosophie de son expérience.
Ce récit de voyage est suivi de la traduction du Zend Avesta. C'est la transmission à l'Europe de l'enseignement des destours, tel qu'Anquetil l'a recueilli avec son acuité d'attention et sa lucidité, jointe aux observations et descriptions soignées qu'il a faites des pratiques et coutumes.
Après le Zend Avesta, il n'eut de cesse de réaliser pour les Vedas ce qu'il avait fait pour le livre sacré des Perses. Il le fit à Paris, ou du moins fit ce qu'il put faire. En 1775 il reçut un manuscrit persan envoyé de l'Inde par le Colonel Gentil. C'était une version persane de cinquante Upanisads, ces textes sanskrits dans lesquels les brâhmanes de l'époque védique ont posé les fondements de la philosophie indienne. Ce n'est pas une traduction à la lettre des textes antiques. C'est une amplification des textes et de la pensée.
Il entreprit une traduction française qu'il réalisa entre octobre 1786 et juillet 1787. Il publia d'abord quatre textes dans ses Recherches historiques et géographiques sur l'Inde. Le suite resta inédite, mais par sa propre volonté. Il refit sa traduction en latin et la publia avec une annotation considérable. Il y insèra beaucoup de matière personnelle. Ce fut, en effet, un labeur que l'on peut qualifier d'héroïque, quand on considère les circonstances dans lesquelles il le réalisa.
La Révolution était survenue. En septembre 1792 il refusa de prêter le serment civique qu'elle exigeait de tous les corps de l'Etat et fut démis de ses fonctions à la Bibliothèque nationale. En avril 1793 il passa vingt-quatre heures dans les prisons de la Terreur. Il en sortit mais en décidant de se retirer du commerce des hommes. Les académies furent abolies quelques mois plus tard. Retiré du monde, sans ressources, Duperron vendit ses meubles et même une partie de ses livres pour survivre. Ces années laborieuses et dramatiques aboutirent à la publication de la traduction latine de l'ensemble de l'ouvrage de Dârâ Shukôh avec le titre " Oupnek'hat (c'est-à-dire Secret à garder) : cet ouvrage, très rare en Inde même était traduit littéralement de la langue persane mélangée de mots sanscrits, en latin.
Alors que tout le monde en Europe croyait encore à la richesse inépuisable des "Indes florissantes ", Duperron en avait prévu l'appauvrissement lent et progressif causé par les entreprises d'exploitation européennes. Il présenta dans un livre les véritables principes du gouvernement en Turquie, en Perse et en Inde. Il établit l'existence de la propriété individuelle et les limites des pouvoirs en Orient. Il publia en 1778 une Législation orientale qu'il dédia " Aux peuples de l'Indoustan ".
Précurseur de l'anticolonialisme, il a été témoin de la défaite de la France en Inde et de la conquête par l'Angleterre. Il en a conçu à la fois une animosité grandissante au cours des années contre les Anglais et des projets de reconquête de l'Inde sur ces nouveaux dominateurs, afin de rendre aux Indiens leurs droits de propriété et de prospérité, tout en établissant la justice dans de nouveaux modes de relations commerciales avec l'Europe. Il échafauda de tels plans politiques tout au long de sa vie. Avec les années, ses opinions se radicalisèrent et s'universalisèrent. Il poursuivit tous les préjugés sur les races et les communautés humaines de toutes les régions du globe. Il laissa à sa mort un recueil manuscrit de textes s'échelonnant de 1780 à 1804. Il y traite principalement de l'Amérique et des peuples du Grand Nord. C'est la réfutation de tous les arguments visant à prouver une hiérarchie des peuples et des cultures.
Champion de la liberté, il accueillit favorablement les premiers jours de la Révolution française. Mais il n'accepta pas la disparition du pouvoir monarchique. Il s'emporta avec son ardeur obstinée contre la Terreur. Homme d'ordre, il était près d'accepter le gouvernement de Bonaparte. Mais il reconnut vite le despote dans celui qui avait ramené l'ordre intérieur à son bénéfice. Il fut réintégré à l'Académie le 3 janvier 1803. Pendant à peine un peu plus d'un an, il participa aux séances, jusqu'au jour où il démissionna, refusant de prêter le serment de fidélité que Napoléon en accédant à l'Empire imposa de nouveau à tous les corps de l'Etat. Dans sa lettre de démission adressée à Chaptal le 28 mai 1804, il donne la raison de son attitude.
Cette lettre est son testament. Il s'éteignit quelques mois plus tard le 19 janvier 1805. Cette personnalité qui aimait l'homme mais se heurtait à presque tous les hommes, cette œuvre hors du commun, n'ont pas été reçues aisément par ses contemporains. Mais, somme toute, la République des Lettres le reçut favorablement, si l'on passe sous silence quelques querelles issues de la rivalité franco-anglaise. Il ne fut pas ignoré. Ensuite la postérité l'a traité avec beaucoup moins de justice. Il n'a évidemment jamais été oublié par les orientalistes qui lui rendent régulièrement hommage. Mais le modèle du voyage scientifique a vite été oublié. Sa voix clamant la défense de l'Inde contre l'exploitation et les préjugés coloniaux s'est élevée dans le vide.
La publication de la traductions des textes orientaux a eu pour principal effet la création d'une nouvelle matière : l'histoire des religions. En effet, Anquetil Duperron a permis de présenter un autre modèle que le modèle de référence judéo-chrétien. Anquetil Duperron a ainsi enclenché une véritable " Renaissance orientale " (Schopenhauer). Les milieux cultivés se sont passionnés pour ses traductions, certains rendant hommage au magnifique travail accompli par Anquetil (Victor Hugo) tandis que d'autres la prenaient pour la plus grande mystification du siècle comme le pensait par exemple Voltaire. Mais l'engouement orientaliste sera vite remplacé par la passion de l'Egypte qui a l'avantage de posséder encore des traces de sa civilisation passé, à l'inverse du védisme.
~jamesB~
Publié le : 07/02/2006
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