Résistancialisme

A la Libération en 1944, la France est déchirée, exsangue à la suite de l'Occupation. En effet, elle avait été vaincue en 1940 et les habitants accusaient le coup. Il fallait pourtant reconstruire le pays et restaurer la cohésion nationale alors que la population avait été partagée entre passivité, résistance et collaboration.


Pour parvenir à son objectif, le général De Gaulle met en place le " mythe du résistancialisme " dans son discours lors de la libération de Paris. Il véhicule l'idée selon laquelle tous les Français ont résisté et ont participé à la libération de leur pays. On supprime le régime de Vichy de la mémoire collective : Vichy, ce n'était pas la France, la France c'était le général de Gaulle en exil à Londres. Des tribunaux sont mis en place pour juger les collabos. Cependant, ces dernier sont graciés pour éviter que des exécutions ne viennent briser le mythe national. Il y a création d'un sentiment de refoulement national.

Mais, s'il insiste à tort sur le rôle des résistants armés, le mythe gaulliste fait de nombreux oubliés : tous les résistants juifs, démocrates, catholiques..., ceux qui ont résisté de façon pacifique, les prisonniers de guerre, les déportés du STO ainsi que les déportés raciaux (noirs, juifs, mais aussi homosexuels), sont oubliés au profit des déportés politiques. Malgré tout, le mythe persiste : le cinéma le traduit avec la production de films comme La Grande Vadrouille , où tous les Français sont des résistants malgré eux et où les Allemands sont représentés comme des imbéciles. L'apogée de ce mythe est atteint lorsque Jean Moulin est mis au panthéon en 1964. Cela représente la consécration de toute une France résistante. Cependant, on oublie le fait que Moulin a été trahi par des résistants eux-mêmes.

Il faut attendre l'apparition d'une génération qui n'a pas connue la guerre, et la mort du général de Gaulle, en 1969, pour que le refoulement cesse. Ironiquement, c'est le cinéma qui, après avoir véhiculé le mythe, va y mettre fin.
Le film documentaire Le Chagrin et la Pitié dévoile la vie des habitants d'un village sous l'Occupation. Ce film de 1971, prévu à la base pour la télévision, est censuré car il dévoile une lourde vérité : les Français ont en grande majorité été des lâches puisqu'ils sont restés passifs ; certains étaient opposés à la résistance, et ont dénoncé des juifs, leurs voisins... Ce film met les gens en face de la réalité de leurs actions, il confronte les gens au refoulement. Il eut un tel retentissement qu'il fut finalement retransmis à la télévision quelques années après. Il marque la fin du mythe résistancialiste.

Voilà un exemple du fait que l'Histoire, que nous considérons comme une science objective, ne l'est pas forcément, puisque le passé peut facilement être utilisé pour des projets politiques. Nous sommes logiquement amenés à nous interroger sur tous les passages de notre histoire commune qui ont été transformés de cette façon...

 
 
~Eaque~
Publié le : 22/04/2006

 

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Bon article ; je tiens cependant à souligner que l'Histoire ne peut jamais être objective, car elle est le résultat de travaux d'historiens qui vivent à une époque plus ou moins lointaine par rapport à l'évènement étudié et qui de par leur éducation, émotion, réflexions, et contexte politique, ne peuvent pas être objectifs ! Je vais prendre un exemple tout bête : La Révolution Française et la question de ses origines en particulier.
Il y a trois visions ou trois lectures :

  • sous la IIIe République, l'attention a été mise sur la coupure politique et l'élément fondateur de la République.
  • Après la première guerre Mondiale, c'est surtout l'interprétation économique et sociale qui prévaut. C'est une orientation délibérément marxiste (ou jacobine) : la montée d'une bourgeoisie désireuse de renverser l'ordre social pour prendre le pouvoir à l'aristocratie terrienne (un épisode de la lutte des classes).
  • Dans les années 50 (contexte de la guerre froide), on dénonce le mythe de la révolution bougeoise et on met l'accent sur les raisons politiques. Certains insèrent la Révolution dans un ensemble de mouvements politiques et sociaux atlantiques + accent sur le fait qu'il n'existait pas vraiment de bourgeoisie. (Je ferai peut-être un article dessus...)
Ensuite je trouve que le terme de "lâche" est un peu dur et pas très objectif C'est difficile de juger quand on n'a pas soi-même vécu les évènements en question et donc de savoir réellement comment nous aurions réagi !


~jamesB~

 

Il faut aussi souligner que certaines idées reçues s'avèrent, avec les recherches menées au fil du temps, fausses.

J'en veux pour exemple le fait que bien des Français, durant la dernière guerre, et contrairement à des idées reçues, ont résisté individuellement en cachant des Juifs en nombre, leur sauvant la vie. L'exemple le plus frappant, parce tout le village y a participé, est celui du Chambon sur Lignon.

Peut-être faut-il distinguer entre l'Histoire, telle qu'elle peut s'écrire à la lumière des recherches (qui ne sont jamais finies) et l'Histoire, telle que les Etats l'utilisent, et qui dès lors, ayant une fonction politique s'écarte un peu de la réalité qu'on peut saisir.


~Deborah Bernard~

 

Oui, c'est vrai que l'histoire ne peut être tout à fait objective ; tout à fait d'accord avec ton analyse de la révolution, cependant cet article est dans une optique révélatrice plus que critique.
Pour le mot "lâche", c'est vrai que c'est un mot fort mais je l'ai mis dans mon article car il a été employé par une actrice du "chagrin et la pitié" dans son interview.

La distinction que tu fais entre l'Histoire et une histoire est intéressante , tu devrais approfondir ton idée ;).
Par exemple : "et si le vrai rôle de l'histoire était précisément d'être manipulée pour soutenir des projets politiques, culturels ? Dans ce cas l'histoire en tant que devoir de mémoire est peut-être une dérive du rôle de base", enfin fais comme tu veux.

Merci pour vos remarques et votre participation !


~Eaque~

 

Non, l'Histoire n'est pas une science objective. C'est une science humaine !

D'autant que l'objectivité n'existe pas. Ce qui existe c'est l'honnêteté intellectuelle. Un exemple simple : si vous êtes cinq à avoir assisté au même accident dans la rue, aucun de vos témoignages ne sera identique ! Et pourtant vous aurez tous été sincères.

L'Histoire a toujours besoin d'être revisitée. Mais d'une part sans faire d'anachronisme - ne pas lire les évènements d'hier avec nos yeux d'aujourd'hui qui prendraient en compte des sociétés et des évènements qui n'existaient pas à l'époque - et d'autre part à partir de documents dûment recoupés et vérifiés, sachant d'ailleurs qu'il y aussi une histoire en creux : certains documents essentiels ou non n'existent pas. L'inverse est vrai : on peut découvrir bien des décennies plus tard des documents qui remettent en cause ce qu'on avait pensé exact à un certain moment.

Bien entendu, on peut contester telle ou telle version de l'Histoire, mais il faut le faire avec des arguments authentiques, et surtout pas avec des impressions ou cette manière de dire "je crois". L'Histoire, ce n'est pas la foi.

Pour en revenir à Jean Moulin, certes il a été trahi ; en quoi cela disqualifie-t-il son action et celle de la Résistance ? Les hommes sont faillibles dans toutes les situations. Est-ce que cela enlève quelque chose à la grandeur de ce qu'ils peuvent faire ? A ce compte là, il ne faut plus dresser aucun monument ! Demandez-vous aussi ce que vous auriez fait sous la torture ? Evidemment, ça n'absout pas la trahison, mais c'est tout de même à prendre en considération. Ce qu'on appelle l'Histoire, c'est une histoire d'hommes et de femmes.

Quant à la fonction de l'Histoire, il est évident que tous les Etats l'utilisent plus ou moins. Elle a pour fonction, entre autres, de créer le consensus entre tous les citoyens. De valoriser la patrie.

Les citoyens, eux, doivent ouvrir les yeux et s'informer. Faire la part des choses. Réfléchir. Entrer, au besoin, dans la discussion mais pas au hasard.

Aujourd'hui on a accès à énormément de travaux historiques, et sur la Résistance en particulier (un livre vient de sortir, passionnant : Dictionnaire Historique de la Résistance (Bouquins)). On ne manque donc pas d'éléments pour entrer dans l'Histoire : une fois d'ailleurs qu'on a commencé, on n'en sort plus, c'est passionnant.


~Deborah Bernard~

 

Que Jean Moulin ait été trahi par des résistants ne change en effet rien à l'action de la résistance ; si j'ai insisté sur ce fait dans mon article, c'est pour montrer que le mythe du résistancialisme est bien un mythe.

Pour le reste, ton analyse est pertinente.


~Eaque~

 

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