Père Joseph

Rien à voir avec l'époux de Marie, attention ! Le père Joseph fut le maître dans l'ombre de la diplomatie française sous Louis XIII, et le créateur de véritables services de renseignements français.


Né le 4 novembre 1577, François Leclerc est le descendant d'une lignée de magistrats, par son père, et d'une famille de très ancienne noblesse terrienne, par sa mère. Dès son plus jeune âge, il fait preuve d'une intelligence exceptionnelle. A quatre ans, il étudie déjà le latin et le grec.

Sa vocation se manifeste l'année de ses quatorze ans. Renonçant à fuir la maison familiale pour entrer au couvent, il fait cependant le voeu de consacrer sa vie à Dieu. A dix-huit ans, brevet de gentilhomme en poche, le jeune baron de Maffliers (un titre hérité de son grand-père maternel) fait son entrée à la Cour d'Henri IV.
Joli garçon et esprit brillant, mais cependant d'une grande discrétion, il y fait sensation. Gabrielle d'Estrée, la maîtresse du roi, le surnomme le "Cicéron de la France et de son époque".

Après une brève carrière militaire, François Leclerc passe une année dans les bas-fonds de Paris. Là, il se consacre aux miséreux et aux malades. Le choc de cette expérience le confirme dans sa vocation. Malgré les réticences de sa mère, il opte pour l'ordre des Capucins et revêt l'habit de novice, le 2 février 1599, au couvent d'Orléans.

Ordonné prêtre en 1604, le père Joseph (puisque c'est désormais son nom) entame une carrière fulgurante. Ses talents d'orateur sont tels qu'il doit prêcher en plein air, faute de pouvoir accueillir tous les fidèles à l'intérieur de son église. En 1609, il est supérieur du couvent des Capucins à Tours lorsque Eléonore de Bourbon, tante d'Henri IV et abbesse de Fontevrault, le charge de réformer l'abbaye. Souhaitant partager cette lourde tâche, le capucin songe à Armand du Plessis de Richelieu. À vingt-quatre ans, le jeune évêque de Luçon a lui aussi une réputation bien établie. Les deux hommes inaugurent alors un lien d'amitié que, durant trente ans, nulle épreuve ne pourra briser.

Lorsque le cardinal de Richelieu entre au Conseil du roi Louis XIII, en 1624, il fait immédiatement appel au père Joseph. Celui-ci organise un véritable service de renseignements parallèle, recourant à de nombreux capucins. Le père d'Alais est ainsi chargé des relations avec la Bavière pendant que celles avec l'Empire germanique sont dévolues au père de Casal. Il crée ainsi un véritable réseau, le premier service de renseignements organisé et efficace. Ce service ne survivra pas à sa mort. L'Europe centrale est alors engagée dans l'inextricable guerre de Trente ans et la toile d'araignée des "honorables correspondants" du père Joseph permet à Richelieu de tisser ses alliances au gré des circonstances.

Progressivement, le capucin s'impose comme ministre des Affaires étrangères officieux, faisant parfois peu de cas du personnel diplomatique en place. De l'affaire de la Valteline, en 1625, au siège de La Rochelle, en 1628, le père Joseph est de toutes les "campagnes" de Richelieu. Après la reddition de La Rochelle, le cardinal, qui n'est pas un ingrat, propose à son ami et conseiller le titre d'évêque de la ville.
Mais le père Joseph refuse cet honneur. Il est, et reste, un homme de l'ombre. Il fut, toujours dans l'ombre, le principal artisan du traité de Westphalie dont les historiens considèrent unanimement qu'il a orienté l'évolution politique du continent jusqu'à la Seconde Guerre mondiale.

Ce fut à partir du Père Joseph que l'expression d'éminence grise, qui lui fut attribué à cause de la couleur grise de la robe de bure des Capucins, fut créée et entra dans la langue courante.

Entre les deux ecclésiastiques, Richelieu et le Père Joseph, règnent une entière confiance et une indissoluble amitié. Richelieu se plaît à surnommer le père Joseph tour à tour Ezéchieli ou Tenebroso-Cavernoso, selon qu'il fait référence à ses talents de prédicateur ou de négociateur et de manipulateur hors pair.
Cette complicité se double d'une proximité de tous les instants. Richelieu et son conseiller travaillent souvent la nuit, entre deux et six heures du matin. Puis, le cardinal se couche deux petites heures. C'est le moment que choisit le père Joseph (qui loge dans une petite pièce attenante à la chambre du ministre de
Louis XIII) pour recevoir ses agents, souvent des capucins, venus lui présenter leur rapport.

Le 18 décembre 1638, le père Joseph est brutalement frappé d'une crise d'apoplexie alors qu'il se trouve à Rueil, chez Richelieu. Les médecins sont formels, le Capucin est perdu. Bouleversé, le cardinal ne sait comment adoucir les derniers instants de son fidèle ami. Soudain, il quitte la chambre où repose le père Joseph puis, quelques instants plus tard, revient en menant grand tapage. Tenant à la main un papier censé figurer une dépêche, le prélat se penche vers le mourant et s'écrie : "Père Joseph ! Père Joseph ! Brisach est à nous !" La plus puissante des forteresses du Haut Rhin est tombée quelques heures plus tôt aux mains de Bernard de Weimar, avec lequel le père Joseph a négocié l'alliance. Mais Richelieu l'ignore encore... En devançant les événements (par un pieux mensonge qui n'en était pas un), il donne à celui qui a été l'artisan de la politique allemande une ultime preuve d'amitié.

A la mort du Père Joseph, Richelieu confia sa tristesse : " Je perds ma consolation et mon unique secours, mon confident et mon appui. "

 
 
~jamesB~
Publié le : 19/05/2006

 

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