Histoire de l'allaitement en France - I

L'allaitement en France avant la fin du XIXè siècle


Avant toute chose, il convient de rappeler ceci :
notre espèce, Homo sapiens sapiens, fait partie de la classe des mammifères, lesquels sont caractérisés par la présence, chez la femelle, de glandes mammaires pouvant sécréter du lait afin de nourrir les jeunes. Le lait en poudre artificiel et fabriqué industriellement à partir de lait de vache, est une invention récente, qui n'a pas plus de 120 ans...

Si ce petit rappel m'a semblé nécessaire, c'est que cette évidence n'en est plus une aujourd'hui - en France, tout au moins. En effet, en 2000, seuls 52% environ des bébés étaient encore allaités au sortir de la maternité, alors qu'ils étaient 98% ... en Norvège ! L'histoire de l'allaitement en France au cours des 120 dernières années me semble un bon moyen de voir l'évolution du regard porté sur les bébés (et sur leurs mères !), par la société française dans son ensemble.

I - L'allaitement en France avant 1880

Il convient de distinguer deux cas : les familles aisées et les familles issues de classes sociales moins favorisées.

En ce qui concerne les familles aisées, le choix de l'allaitement ne se posait quasiment pas aux jeunes mères : en effet, très rares étaient les bébés laissés à leur mère à la naissance. Bien souvent, ils étaient envoyés chez des nourrices à la campagne, ou allaités par des femmes logées au domicile des parents, pour ceux qui disposaient de moyens plus conséquents. Or le taux de mortalité infantile était relativement élevé pour les bébés envoyés à l'extérieur : l'appât du gain conduisait bien souvent les nourrices à " louer " leurs services à plusieurs familles (rappelons que le lait artificiel n'existait pas encore). C'est pourquoi il arrivait régulièrement que les petits qui leur étaient confiés meurent de malnutrition, les nourrices ne pouvant bien sûr " fournir " suffisamment de lait pour tous les enfants dont elles avaient la charge. De leur côté, les nourrices étaient elles-mêmes des mères dont l'enfant était encore au sein : on devine aussitôt que tout le monde pâtissait de la situation, les enfants des pauvres autant (sinon plus), que les enfants des riches...Certaines nourrices donnaient aux enfants des laits " artificiels ", préparés par elles-mêmes, le plus souvent à base de lait de vache, ce qui, vu les conditions d'hygiène déplorables, entraînait la mort de nombreux bébés.

Les raisons conduisant à cet état de fait étaient tout d'abord d'ordre social : il était assez mal vu d'allaiter son enfant dans les couches supérieures de la société, car cela renvoyait à une animalité mal acceptée. Des questions de pudeur étaient également invoquées. On peut penser que cela allait de pair avec la manière dont la sexualité était alors considérée, et réprimée...De plus, les habitudes vestimentaires féminines des couches aisées de la société (corsets), étaient évidemment peu pratiques pour allaiter un nouveau-né. Par ailleurs, l'enfant était vu avant tout comme une " bouche à nourrir " ; ses besoins affectifs étaient largement ignorés, et la proximité mère-enfant était bonne pour les familles du " bas peuple ", qui n'avaient pas les moyens de louer les services d'une nourrice. L'enfant était plus une contrainte, un frein à la vie de la mère, qu'un bonheur. La mortalité infantile était acceptée comme un " coup du destin ", contre lequel il y avait peu à faire - ce qui n'empêchait pas la douleur des parents...Il reste que cette mortalité infantile était assez élevée : en 1870, 52% des bébés parisiens envoyés en nourrice à la campagne mouraient dans leur première année, pour des raisons citées plus haut.

Quant aux familles issues de classes sociales moins favorisées, on peut considérer à nouveau plusieurs cas : tout d'abord, les femmes, surtout en campagne, pour qui la question de l'allaitement ne se posait pas, car il n'existait pratiquement nulle alternative. La mise au sein s'effectuait en principe assez tôt, sauf si des superstitions l'interdisaient pendant 12 ou 24 heures (on passait alors joyeusement, et sans le savoir, à côté des bienfaits du colostrum, dont je reparlerai plus loin). On donnait à l'enfant de l'eau sucrée, parfois en lui faisant sucer un morceau de tissu imbibé. En général, les femmes avaient des " trucs " pour la conduite de l'allaitement, et étaient soutenues par les autres mères. Il n'y avait pas de règle, la plupart du temps : pas de minutage des tétées, ni d'intervalle minimum entre les tétées. L'allaitement se faisait à la demande. Il était relativement fréquent que l'enfant soit sevré naturellement, sauf si la mère tombait malade ou enceinte : on craignait qu'elle ne contamine l'enfant allaité, et le lait d'une femme enceinte était réputé mauvais pour l'enfant. (On sait aujourd'hui qu'il n'en est rien.) En moyenne, le sevrage dit naturel ( c'est-à-dire l'âge où l'enfant se détourne de lui-même du sein, sans contrainte extérieure) intervient entre trois et cinq ans. (Eh oui, si tard que cela : rien à faire, nous sommes des primates !) Pour certaines mères dont l'allaitement échouait, il restait le recours à des recettes à base de lait de vache, celles qu'utilisaient certaines nourrices évoquées plus haut, avec tous les risques que cela comportait.

Vers la fin du XIXè siècle et le début du XXè, en particulier pendant et après la Première Guerre Mondiale, les femmes furent de plus en plus nombreuses à travailler : le problème de l'allaitement se posa de façon plus prégnante pour ces mères, qui devaient choisir entre l'allaitement et leur travail. C'est à peu près à cette période que des industriels, secondés par certains médecins, commencèrent à commercialiser des laits dits à l'époque " maternisés ", qui étaient en fait (et sont toujours), des préparations à base de lait de vache concentré ou déshydraté. De nos jours, l'appellation " lait maternisé " est interdite, pour ne pas entraîner de confusion.

On voit donc que le choix, ou non, de l'allaitement, obéissait à de fortes contraintes sociétales : le libre arbitre des mères (et des bébés !) n'était pour ainsi dire jamais mis à contribution...

 
 
~carroll ex nihilo~
Publié le : 11/10/2006

 

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