Postel, Guillaume (1510 - 1587), utopiste français
Parmi les utopies de la Renaissance, celle de Guillaume Postel a pour particularité d'être basée sur des considérations d'ordre linguistique. Récit de la vie de Postel, et bref aperçu de ses idées...
Né en 1510, il fut le conseiller des rois de France, et en particulier de François 1er. Il était proche des élites religieuses, politiques et scientifiques de son temps. Les missions diplomatiques qu'il effectua en Orient le conduisirent à s'initier à l'arabe, à l'hébreu et à la lecture d'ouvrages fameux de la Kabbale juive. C'était de plus un helléniste renommé. En 1539, il obtint une chaire d'enseignement au Collège des Trois Langues, l'ancêtre du Collège de France, à Paris.
Il commença alors à exposer sa théorie utopiste : selon lui, le problème majeur de l'humanité est l'incompréhension entre les peuples, due à l'apparition des multiples langues et dialectes lors du désastre de Babel. La solution serait donc de retrouver la langue-mère de toutes les langues, et de faire en sorte que tous les peuples de la terre sachent parler, lire et écrire cette langue. L'une des originalités de sa doctrine, et non la moindre étant donné le contexte culturel de son époque, est d'affirmer que cette langue-mère est l'hébreu, la langue du peuple juif dans laquelle la plupart des textes bibliques avaient été écrits, avant d'être traduits en grec puis en latin. Postel pensait en effet qu'un Dieu unique n'avait pu créer qu'un seul monde, une seule race humaine, et par conséquent, une seule langue originelle, la langue que parlaient Adam et Eve selon les théologiens de l'époque, c'est-à-dire l'hébreu. Le retour à cette langue quasi-sacrée permettrait en outre de prouver la supériorité des croyances chrétiennes sur les autres croyances, même si Postel affirmait par ailleurs que certaines parcelles de vérité pouvaient se trouver dans les autres religions, particulièrement les religions monothéistes.
Problème : il affirmait dans le même temps que le seul chef incontesté des peuples de la terre réunifiés au sein de la langue-mère hébraïque ne pourrait être que...le roi de France. Son argument ? Etymologique : en hébreu, gallus signifie celui qui a vaincu les flots. Du gallus hébreu au gaulois, ancêtre des Français, il n'y avait qu'un pas, que Postel franchit allégrement en affirmant que cette proximité était la preuve que les gaulois, et en particulier le roi de France, étaient les véritables descendants de Noé, puisque leur nom même les définissait comme ceux qui avaient survécu au déluge ! Inquiet de tant de fanatisme, François 1er le disgrâcia. Postel partit pour Rome, où il tenta de gagner à sa cause Ignace de Loyola, le célèbre jésuite espagnol, mais sans plus de succès...
Cependant, Postel fut nommé aumônier de l'hospice St-Jean-St-Paul de Venise en 1547. Il fut aussi le confesseur de Mère Johanna, la fondatrice de l'hospice. Il ne tarda pas à voir en elle une prophétesse, et la Mère Universelle qui sauverait le monde du péché originel. Il allait encore plus loin dans l'idée, courante à l'époque, selon laquelle les femmes portaient plus que les hommes le poids du péché originel, puisque c'était Eve qui avait poussé Adam à manger le fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Postel pensait carrément que la composante féminine de l'humanité n'avait pas été sauvée par le Christ, et que les filles d'Eve ne pourraient prétendre au salut que lors de l'avènement d'un Messie féminin. Il voyait en mère Johanna ni plus ni moins que ce Messie féminin. Il commença à prêcher en faveur de mère Johanna et de ses soi-disant pouvoirs messianiques.
En 1549, forcé de quitter Venise, il reprit ses pérégrinations à travers l'Orient, puis revint à Venise un an plus tard, où il apprit la mort de mère Johanna. Il prétendit alors que l'esprit de la défunte avait pris possession de lui, et qu'il croyait en la métempsycose (croyance en la migration des âmes dans un autre corps après la mort, croyance condamnée par l'Eglise de Rome.) Il retourna à Paris, où il reprit son enseignement au Collège des Trois Langues, avec un succès certain. Dans le même temps, il recommença à prêcher ses idées sur l'Ere de la Restitution, sous la protection de Johanna. Le roi le força à nouveau à abandonner l'enseignement. Il retourna à Venise, au moment où ses ouvrages allaient être mis à l'Index, ce qu'il réussit à éviter. Inquiété et interrogé par l'Inquisition, il refusa néanmoins d'abjurer ses idées. En 1555, en signe de reconnaissance pour ses apports dans les sciences et en politique, l'Inquisition le déclara " non coupable, mais fou " . Postel avait la vie sauve, mais il n'échappa pas pour autant à la prison. Pour finir, les autorités religieuses françaises obtinrent son retour en France en 1564. Il mourut en l'abbaye Saint-Martin-des-Champs en 1587, après avoir officiellement récusé sa doctrine hérétique (c'est-à-dire contraire à la doctrine catholique officielle), sur mère Johanna.
La principale originalité de ses idées utopistes réside surtout dans le fait qu'elle est basée sur des considérations sur l'origine des langues , et sur l'identification de l'hébreu comme langue universelle, en lieu et place du latin, qui était alors la langue du pouvoir religieux. Il mettait également l'accent sur le fait que le judaïsme était en quelque sorte la religion-mère du christianisme. De plus, sa doctrine sur l'harmonie universelle, et sur les parcelles de vérité présente dans les trois religions monothéistes, appelait une forme de tolérance envers les autres religions quasiment impossible à concevoir de son temps. Cela tranchait nettement avec la doctrine catholique officielle, qui voyait dans le christianisme le perfectionnement ultime du judaïsme, ce qui devait nécessairement entraîner la disparition de cette religion, devenue caduque. Postel s'éleva d'ailleurs plusieurs fois contre les persécutions dont les Juifs étaient victimes en Europe à l'époque.
~carroll ex nihilo~
Publié le : 29/01/2007
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