Génocide

Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, le monde dut prendre conscience de l'ampleur du crime commis par les nazis envers les " races inférieures ".


Ces " races " comprenaient non seulement le peuple juif, mais aussi les Tziganes et les homosexuels, ainsi que d'autres peuples dits " subalternes ". Il devint alors évident qu'un tel crime ne pouvait rester impuni, et que les responsables devaient en rendre compte devant leurs victimes, voire devant l'humanité entière : c'est pourquoi le procès de Nuremberg fut organisé en 1946, pour juger les dignitaires nazis que les vainqueurs avaient pu arrêter.

Or, il n'existait aucun vocable pour qualifier le crime : en effet, même si de tels faits avaient déjà pu se produire dans le passé (c'est aux historiens de nous dire ce qu'il en est, et leur échelle), c'était la première fois que l'on se préoccupait de les juger. Pour juger, il faut pouvoir nommer le crime : on reprit alors le mot qu'avait forgé en 1944 un Américain, R.Lemkin, en associant une racine grecque, genos, qui signifie " race ", à un suffixe d'origine latine, -cide, que l'on trouve dans d'autre mots (suicide, infanticide, homicide), et qui provient du latin caedere, tuer. Le mot génocide, et l'horreur qu'il suggère, entamait la carrière que l'on sait.

Le terme génocide désigne le fait de massacrer des personnes issues d'un même groupe ethnique, national, ou religieux, dans le seul but d'éradiquer ce groupe en tant que population bien définie. L'ampleur du crime est connotée dans génocide : puisqu'il s'applique à une population entière, il est par conséquent commis à grande échelle. C'est pourquoi ce crime est forcément organisé, et est donc le fait de gouvernements (ex : le régime nazi), ou d'autres groupes ethniques (ex : le génocide commis au Rwanda dans les années 90) ou armés. La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, entrée en vigueur en 1951, déclare punissables non seulement le crime en tant que tel, mais aussi l'entente en vue de commettre un génocide, l'incitation à le commettre, la tentative et la complicité de génocide. Il appartient aux Etats signataires de la Convention de réprimer ces crimes ; cependant, le Tribunal Pénal International (TPI) de La Haye, permet d'émettre des jugements au nom des pays ayant reconnu ce tribunal. (Rappelons que ni les Etats-Unis, ni la Turquie, n'ont à ce jour signé les Statuts de la Cour Pénale Internationale). Le génocide est aussi qualifié de crime contre l'humanité, c'est-à-dire que l'horreur des faits touche l'humanité entière à travers le peuple visé. En droit français, l'apologie de crime contre l'humanité (dont le génocide), est reconnue comme un délit.

Or le mot génocide a refait surface dans l'actualité européenne : la France considère comme un génocide les massacres commis par l'empire ottoman sur le peuple arménien en 1915. Son parlement a voté en octobre une loi qui réprime toute opinion révisionniste sur le massacre des Arméniens : en d'autres termes, toute expression d'une opinion visant soit à réduire la portée du crime (par exemple, en contestant le nombre des victimes pour le réviser à la baisse), soit en niant le caractère ethnique du massacre commis - sans parler des négationnistes purs et simples, qui nient carrément le fait lui-même.
Cette loi a beaucoup gêné les autres pays européens, et a rendu furieuse la Turquie : en effet, son gouvernement ne reconnaît pas le génocide arménien. En fait, il semble que derrière cette querelle diplomatique se cache une querelle sur le terme de génocide : convient-il ou non, pour qualifier le crime commis en 1915 ? Précisons que le gouvernement turc, qui a poursuivi il y a quelques années le Prix Nobel de littérature 2006, Orhan Pamuk, pour avoir publiquement exprimé son opinion en faveur de la reconnaissance du génocide arménien par la Turquie, ne cherche plus aujourd'hui à nier les faits : oui, selon la Turquie, des crimes ont été commis envers les Arméniens. Cependant, le gouvernement turc argue du fait qu'il est difficile d'en connaître l'ampleur réelle : pas de registres, contrairement au génocide commis par les nazis, " bureaucratiquement " organisé, d'où l'impossibilité de connaître le nombre exact de victimes. Pas non plus de preuves que l'empire ottoman cherchait à éradiquer le peuple arménien en tant que tel : la Turquie s'appuie sur ce qu'on pourrait appeler le " bénéfice du doute ", pour refuser d'appliquer le terme de génocide aux événements de 1915. Les gouvernements français et turc jouent sur les mots - enfin, c'est ce qu'ils laissent paraître, car il est sans doute difficile de connaître tous les enjeux réels derrière une telle querelle.

Rappelons pour finir que, contrairement au génocide commis par les nazis, suffisamment identifiable, les historiens eux-mêmes ne sont pas tout à fait d'accord entre eux, en particulier sur le nombre de victimes et les circonstances exactes. C'est pourquoi ils réclament une marge de manœuvre assez large, dans un sens ou dans l'autre, pour faire leur travail correctement - travail rendu plus compliqué par le fait que les acteurs du drame sont certainement tous décédés depuis. Il ne s'agit pas d'écrire une version définitive de l'histoire, mais de se rejoindre sur des faits reconnus quels qu'ils soient : cela demande toujours du temps...

 
 
~carroll ex nihilo~
Publié le : 01/10/2006

 

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