Le Brouillon
Résumé
Andreas Schaltzmann est un paranoïaque schizophrène ; il croit que les aliens et les nazis complotent pour dominer le monde. Avec de graves pulsions destructrices, alimentées par un traumatisme de longue date, il tue sans le réaliser plusieurs personnes, incendie aléatoirement maison et entrepôts...
Critique
Ainsi commence l’œuvre de Dantec ; mais seulement Andreas Schaltzmann n’est que le début ; suite à sa capture, et sa mise sous suivi psychologique, on découvre des dizaines de morts éparpillés autour des Alpes, morts atroces accompagnés de sévices abominables. Une enquête policière est alors menée, aiguillée par Arthur Darquandier « Dark », un scientifique ayant mis au point une neuromatrice, à même de reconstituer le profil des tueurs en série, et capable de remonter aux "racines du mal"...
Un policier qui démarre fort, qui suscite l’intrigue, tout d’abord avec le profil atypique mais néanmoins affligeant d’Andreas, jeune homme dépassé par ses émotions et ses traumatismes, et qui continue avec une réflexion sur l’origine du mal, et par la suite une course contre la montre, dans la recherche de l’auteur de meurtres en série passés incognito (meurtres attribués à Schaltzmann...), qui prévoit une fin "spectaculaire" pour la fin du millénaire, soit d’ici quelques semaines...
Plusieurs points excellents : l’écriture, d’une part, est sûre et concise, (parfois trop !), sadique au plus haut point ; la création de la neuromatrice, véritable intelligence artificielle copie du cerveau humain, néanmoins capable d’établir les corrélations qu’un homme ne peut faire, pouvant avaler quantité d’informations et donner le profil d’un tueur ; les premières pages, écrites du point de vue d’Andreas, sont également savoureuses et l’on prend presque part à la panique qui emporte Schaltzmann ; des passages "essai", où l’auteur plonge dans sa réflexion sur l’homme, oubliant l’action et l’enquête, offrant des pistes de compréhension non négligeables ;
D’autres, moins sympathiques : les personnages secondaires très stéréotypés (hormis Andreas), par exemple la belle Svetlana, jeune Russe dont Dark tombe (inévitablement) amoureux, qui, pourtant spécialiste en criminologie, reste la potiche et prend peu part à l’action ; dommage, elle reste cantonnée dans le rôle de la Russe qu’il ne faut pas heurter avec des paroles maladroites ;
Les "experts" d’en face, qui font tout peser sur les épaules d’Andreas, sont bornés et virulents, comme tout homme sûr de sa science, et les exemples ne s’arrêtent pas là...
Enfin, les passages "mystiques" de l’intelligence artificielle sont abrupts, incompréhensibles, et on se demande ce que ça fait dans le décor. Lubie de Dantec, crise de remise en question mystique ? On se le demande encore. Difficile de ne pas sauter des pages. Quant à ses circonvolutions quantiques, faudra s’accrocher pour suivre...
Roman très (très) dense, il faut parfois relire plusieurs fois les phrases qui apportent beaucoup d’éléments à un rythme soutenu. Mais pourtant, un livre intense à lire, incontournable mélange de SF et de polar.
Extrait
Le fait qu’Alex Winkler, tout comme moi, s’intéressait de près au mal et à la violence, montre, si besoin était, la formidable révolution qui agitait les esprits là-bas, à cette époque. Nous rompions définitivement avec les théories rousseauistes qui voyaient en l’homme un être fondamentalement bon, et la société une énorme machine programmée pour le pervertir. Pour nous, les sociétés sont une invention de l’humain, c’est-à-dire de son néocortex, et non l’inverse. Nous pensions tous deux que le mal, c’est-à-dire la violence, l’agressivité et l’instinct de destruction, formait une composante essentielle de la vie. […] Il n’existe aucune espèce animale qui puisse s’abstraire complètement du cycle de la prédation. En cela peut être résumée la condition humaine. La seule chose qui a toujours posé question chez l’Homo sapiens, c’est sa prédisposition à tuer des membres de sa propre espèce, phénomène qu’on retrouve dans des conditions rarissimes dans le reste du règne animal.
Les racine du mal, Maurice Dantec. Folio Policier, page 280.