Le Brouillon
Résumé
Doc Stoeger est journaliste et détient le Clarion, le journal local à Carmel City. Depuis 20 ans, il n’a aucune nouvelle sensationnelle à publier, et navigue entre les kermesses, les ventes aux enchères, les commérages et les divorces des uns et des autres. Mais ce soir-là, tandis qu’il donnerait un bras pour un scoop, il va lui arriver de nombreuses choses, qui vont aller au-delà de ses espoirs les plus fous…
Critique
Avec une base sucrée de Lewis Carroll, un soupçon de polar, des grosses cuillerées d’humour, une pincée de cynisme, quelques grains de folie pure, on a un autre succès de Fredric Brown sur les bras. Entre rêve et réalité, parce qu’au final on ne sait plus trop où l’on en est, l’auteur nous amène sur la piste délirante de ce vieil homme passionné par Lewis Carroll, qui ne souhaite plus qu’une chose, avec quelque chose de sensationnel à publier dans son journal...
D’un livre apparemment de fantasy on en arrive à percevoir pas mal de d’aspects d’une société américaine un peu ratatinée : les petites bourgades de l’Amérique profonde (on a certainement les mêmes..) où tout se sait avant même que le journal ne sorte, le qu’en dira-t-on, la déontologie journalistique (risquera-t-on de briser une famille pour un scoop ? la question est plus que d’actualité), l’alcoolisme avancé (ne serait-ce le héros, on pourrait se questionner sur le nombre de litres de whisky qu’il absorbe en une soirée…) etc.
Mais surtout, l'on rit à chaque page ou presque, devant l’absurdité de certaines scènes, on rit de l’écriture franche et sans détour de Brown, à la limite du cynisme et de l’humour noir, et toujours jouissive.
Bonus : les passionnés d’Alice et du sieur Carroll se régaleront de voir reproduits des extraits et poèmes.
Extrait
« Je remplis le verre de Pete et le mien. Nous trinquâmes et Pete me dit :
- Eh bien, voilà pour une semaine, Doc !
Je me demandais combien de fois il avait dit ça depuis dix ans qu’il travaillait pour moi, et aussi combien de fois je l’avais pensé, ce qui devait faire dans les…
- Combien ça fait, cinquante-deux fois vingt-trois, Pete ? demandai-je.
- Hein ? Un sacré tas. Pourquoi ?
Je fis le calcul moi-même.
- Cinquante fois vingt-trois ça fait... mille cent cinquante, plus deux fois vingt-trois, ça fait onze cent quatre-vingt-seize... Pete, j’ai bouclé le journal onze cent quatre-vingt-seize fois un jeudi soir, et pas une seule fois il n’y a eu dedans une nouvelle vraiment sensationnelle.
- Ici, c’est pas Chicago, Doc. Qu’est-ce que vous espérez, un crime ?
-J’adorerais ça !
Cela aurait pu être drôle si Pete avait ajouté :
- Doc, qu’est-ce que vous diriez d’en avoir trois dans une seule nuit ? »
Fredric Brown, la nuit du Jabberwock ; Editions Rivages/Noir, page 17