Le Brouillon
Euthanasie et question de souffrance.
« Je veux mourir, je ne supporte plus d’être un légume dans cet hôpital qui sait que je suis sur le chemin de la mort. »
« Laissez-moi mourir, je ne veux plus que ma maladie aille plus loin, on ne peut rien faire pour la soigner, alors autant que je parte tout de suite, ça m’évitera de souffrir plus longtemps pour rien. »
« Laissez partir mon fils, monsieur le médecin, euthanasiez-le. Il souffre trop, je ne supporte plus de le voir comme ça. Vous n’avez pas le droit de le laisser souffrir comme ça ! »
Qui n’a pas entendu ces mots ? Quel journal n’a pas relaté l’histoire de Bernadette Soubirou, et des autres dans le même cas : confrontés à la mort, et à l’institution hospitalière qui ne peut pas les laisser s’en aller vers l’autre côté, passer l’arme à gauche. C’est d’euthanasie dont nous parlons. On n’a pas le droit d’euthanasier, et pourtant, tout le monde s’en indigne. Pourquoi ?
J’imagine la situation du médecin, de l’homme, qui reçoit une telle demande : "tuez cette personne de vos mains". Il y a des raisons de le faire, certes. Arrêter de souffrir. Ne pas mener une vie condamnée d’avance. La plupart des médecins diront non, au plus grand dam des familles, ou du principal concerné. Ils n’ont tout simplement pas le droit, et certainement qu’ils ne le peuvent pas. Ils ne le peuvent pas parce qu’ils sont conscients de ce que ce que cet acte implique : par son action, faire d’un vivant, un mort. N’est-ce pas la définition de « tuer » ?
Et puis, qui d’autre sinon quelqu’un de supérieur pourrait décider d’une telle chose ? Les animaux suivent une hiérarchie pour tuer les êtres vivants, les lions mangent les gazelles, les gazelles mangent l’herbe vivante, dans l’ordre du plus fort au plus faible. Il y a rapport de force, c’est l’ordre naturel des choses. Mais nous ne sommes pas supérieurs à nos semblables, comment le pourrions-nous ? Sur quels critères ? Parce que celui qu’on a en face de soi est sur un lit d’hôpital, il est plus faible ?
Même l’homme le plus fort du monde pourrait se retrouver un jour sur un lit d’hôpital. A la limite, pourquoi pas, on pourrait dire qu’il deviendrait alors plus faible que le médecin, et que celui-ci le dominerait donc. La hiérarchie de force, autrement dit la « loi de la jungle » pourrait s’appliquer. Mais autre chose semble à l’œuvre qui arrête le geste du médecin, la même chose qui est à l’œuvre chez ceux qui demandent la mort : La culpabilité.
Je m’explique : Si le médecin fait l’acte de donner la mort consciemment, il se sentira coupable d’avoir tué. Il faudrait qu’il ne considère plus la personne en face de lui comme une personne pour ne plus se sentir coupable, car alors il ne tuerait plus personne... A la limite, pourquoi pas, même si ça poserait beaucoup de problèmes, on pourrait dire qu’une personne qui n’a plus les « critères » d’humanité (qu’il faudrait de toute façon définir), comme par exemple un malade végétatif dans un lit d’hôpital, n’est plus une personne. Mais je ne pense pas que c’est là le principal problème de l’euthanasie.
Le principal problème de l’euthanasie réside selon moi dans la demande d’euthanasie en elle-même, et plus exactement ce qui la motive... Les principales raisons que l’on a pu entendre, et que l’on entendra toujours pour justifier le choix d’euthanasie sont les deux suivantes : l’arrêt de la souffrance, et la condamnation de la vie du malade.
Pour le deuxième argument, il est simple de voir en quoi il est bancal : toute vie est condamnée. Pourquoi une vie condamnée à cause de la maladie aurait-elle moins le droit à la date de sa mort qu’une vie condamnée par la vieillesse ? On pourrait alors me répondre « parce qu’elle est plus dure à vivre ». Dure à cause de quoi ? « De la souffrance ». On en revient toujours à ce point, qui semble en fait être le point central. La souffrance. On veut mourir, parce que l’on souffre. Là est tout le problème de la demande d’euthanasie !
Qui n’a pas souffert dans sa vie ? Qui n’a pas eu envie de mourir, parce qu’il ne se sentait pas capable de survivre aux assauts de la vie ? On ne se sent pas capable de vivre, donc on ne peut plus vivre ? Je ne suis pas d’accord. Au final, tout le monde en est sorti. Certains demanderaient à mourir pour des souffrances que d’autres pourront supporter sans peine, et que les premiers supporteront certainement très bien quelque temps plus tard, avec l’expérience...
La souffrance fait partie de la vie, c’est même grâce à elle que l’on sait que l’on est en vie, disent les philosophes. Là où il n’y a pas de souffrance, il n’y a pas de vie. Pourquoi alors vouloir absolument enlever la souffrance des gens ?
A la limite, on me dira que les personnes hospitalisées, elles, ne s’en sortiront pas. Et on aura raison. Mais elles n’emportent pas tout leur monde avec elles, et même si leur souffrance ne vaut pas la peine d’être vécue, parce qu’ils ne pourront rien en faire pour vivre réellement, ça ne suffit pas à oublier qu’il y a autour d’un malade tout son entourage. C’est à mon avis lui qui souffre le plus. C’est souvent lui qui demande l’euthanasie, parce que, finalement, un légume dans un hôpital ne ressent aucune souffrance, ce sont les proches qui ont mal.
Je pense que la principale motivation qui amène à demander l’euthanasie est que personne ne supporte plus la souffrance, et l’arrêt de la souffrance est devenu plus important que tout le reste, y compris vivre.
Nous savons tous, peut-être inconsciemment, que pour vivre, il faut souffrir, et qu'ainsi, souffrir, c’est vivre. Cette nouvelle propension à ne plus supporter aucune souffrance en vient à ne plus supporter la vie elle-même. On ne supporte plus la vie, on en vient donc à penser que mourir est une meilleure chose, vu qu’il n’y a alors plus de souffrance. La souffrance est devenue pire que tout, même pire que la mort. Il est donc logique de préférer mourir plutôt que souffrir.
Est-ce que la souffrance est vraiment, comme tout le monde semble le penser, pire que la mort, alors même qu’elle permet la vie ? N’est-ce pas la vie, le plus essentiel ? Notre pulsion primaire n’est-elle pas une pulsion de survie ? Pourquoi l’a-t-on oublié, et pense-t-on que la souffrance est plus primaire que la vie, dans la vie ?
Tout ça me fait penser à un dépressif qui ne voit plus que sa souffrance, qui n’accorde d’importance à rien d’autre, et qui met le mal-être sur un piédestal, devant tout le reste, dans sa subjectivité faussée par la noirceur. L’humanité est-elle donc dépressive ?
~Kikouk~ le 03-02-2009 à 18:14