Le Brouillon
Résumé
Quelques années après leur poursuite de Dracula, les héros du Dracula de Bram Stoker ont bien changé : Arthur Holmwood se mure loin de ses amis, Jack Seward est morphinomane, Jonathan Harker, ayant sombré dans l’alcool, reproche continuellement à Mina de penser toujours à son prince Dracula... Tandis que leur fils Quincey, à Paris, cherche à devenir acteur.
Mais pourtant, une suite de meurtres dans Londres va raviver les peurs des anciens amis, cette peur du mal non éradiqué...
Critique
"Seule œuvre approuvée par la famille Stoker." Par là même, l’auteur va chercher à gagner la confiance du lecteur... Si même la famille l’accepte, alors que tous les précédents dérivés et reprises n’ont pas été reconnus...
Pourtant, l’accord de la famille ne fait pas tout, hélas ; plusieurs choses font que le roman de l’arrière petit-neveu ne peut pleinement satisfaire : tout d’abord, Bram Stoker avait cette plume victorienne, avec ce charme de l’époque qui fait défaut dans la suite. Le style épistolaire, véritable perle du roman originel, n’est pas repris.
A la place, nous récoltons :
Une vague enquête policière, avec un personnage créé par Bram (mais non "utilisé") ; l’inspecteur Cotford, qui semble tenace et hargneux, apparaît comme un personnage crucial, mais l’inégalité des chapitres fait qu’il n’apparaît plus pendant quelques chapitres, réapparaît, puis disparaît à nouveau, l’auteur délaissant la pseudo enquête dans Londres pour se concentrer sur d’autres intrigues. Ce qui devait être stimulant ne l’est pas, faute de rigueur dans la narration.
Un Dracula humanisé : le vampire n’est plus la bête du mal, sans émotions et sans pitié, c’est une créature dont il faudrait à la limite avoir de la pitié… Dracula amoureux de Mina (!), et une Mina qui se pâme devant son prince, rejetant Jonathan et oubliant que son mari s’est battu pour elle... Pitoyable.
Un Dracula métamorphosé, qui se bat pour protéger Mina et Quincey. Mais où est passée la créature qui voulait détruire le groupe d’amis, 25 ans plus tôt ?
Le seul piment s’avère la comtesse Báthory, nouvelle figure introduite dans le récit, dont le personnage a une vraie consistance ; la méchanceté et les vices du Dracula originel se déportent vers ce vampire qui est ‘la femme à abattre’. Inspirée de la comtesse du Moyen Age (voir l’article de l’ESRA http://www.esraonline.com/index.php?pagination=view_article&id=26), elle est très intéressante, et conserve tous les aspects du vampire que l’on connaît : prédatrice, manipulatrice, joueuse, cruelle.
La plus grande perte est sans conteste le Dracula amadoué, loin d’être la créature de la nuit et sans émotion que l’on connaît, et d’où découlent tous les mythes vampiriques. Cela, auquel on ajoute l’histoire d’amour entre lui et Mina, et on a une love story façon Twilight, avec des gentils vampires, de l’amour, du sexe (eh oui, autres temps, autres mœurs... Ce que Bram n’aurait jamais écrit, Dacre l’a fait... même si cela ne correspond pas tellement avec l’époque).
On peut néanmoins saluer les allusions et introductions de personnages et de données historiques (Le roman fait mention de Jack l’éventreur, de la traversée du Titanic...) qui donne un peu de consistance et font de beaux clins d’œil aux lecteurs.
Dacre Stoker et Ian Holt ont voulu faire renaître le vampire le plus célèbre de la littérature, le comte Dracula, alors que Bram Stoker s'était acharné à le détruire. A vouloir tout expliquer, justifier les oublis de Bram, les auteurs ont brodé, inventé, détourné, et en font beaucoup trop. Bien dommage.
Extrait
"Depuis des siècles, la comtesse restait perplexe devant la croyance selon laquelle Dieu avait créé l’homme à son image. Si tel était le cas, alors Dieu trahissait sa faiblesse. L’homme se révélait si fragile et si limité. Sans le progrès technique, il demeurerait en bas de la chaîne alimentaire. Or, Báthory détenait une vérité que même les animaux moins évolués connaissaient depuis des millénaires : l’homme était une proie facile, et son sang un divin nectar. Elle se demandait parfois si les bêtes féroces ayant goûté à la chair humaine éprouvaient la même satisfaction qu’elle.
En vérité, le seul être auquel la comtesse témoignait le moindre respect n’était autre que Charles Darwin. La loi du plus fort. Selon cette logique, Báthory représentait une forme d’humanité perfectionnée. Sa vue, son ouïe, son odorat, son toucher et son goût se révélaient dix fois plus aiguisés que ceux d’un humain, sans parler de sa force décuplée d’autant. […] Par ailleurs, la comtesse possédait la faculté de se déplacer avec une célérité inouïe. De même qu’elle pouvait léviter, fuser dans les airs et filer au gré du vent. Si l’homme avait besoin d’une machine pour voler, Báthory se révélait plus forte. En ce sens, elle représentait bien le stade supérieur de l’évolution humaine."
Dracula l’Immortel, Dacre Stoker & Ian Holt. Page196, éditions Michel Lafon.