Le Brouillon
Deux hommes, deux voix qui s’alternent au gré des chapitres : dans un futur incertain, à l’heure où Venise est reléguée au rang de mythique cité engloutie, dans un pays au-delà du cercle polaire, Paul Janüs assiste à la montée en puissance de Stalitlën, leader politique xénophobe et tyrannique, alors que Philip Niels, rescapé d’un incident avec des militants révolutionnaires, promu "héros national", sert de faire-valoir à la politique en place. Décalage temporel oblige, Paul appartient au passé, avant l’avènement de Stalitlën, et Philip appartient à l’après-élection...
Paul, journaliste, cultive l’ambivalence (comme l’ancestrale divinité romaine) : il est traîné par sa femme aux réunions des militants contestataires, alors qu’au fond de lui-même, il se sent attiré par le politique et est hostile à la population Norda, anciennement colonisée et ennemi à abattre, selon le candidat ; Philip, quant à lui, part à la recherche de son voisin disparu ; arrestation arbitraire ? Fuite ? Il faudra rejoindre le nord absolu pour le comprendre...
Sorte de quête initiatique, où le narrateur (les narrateurs ? La confusion est presque inévitable) revient sur son propre vécu et analyse ses choix, et où il faudra être attentif pour ne pas se perdre dans les méandres intentionnellement tortueux de Fabrice Lardreau. Difficile de cerner en effet les intentions de chacun, les sous-entendus, les non-dits, dans un cadre temporel mal défini ; un roman déroutant mais néanmoins fascinant, véritable combat contre le racisme, l’auteur nous met en garde contre la manipulation des médias, l’incitation à la haine d’autrui, l’obsession du terrorisme, l’écologie poussée à ses extrêmes et le verrouillage de la société.
Ecriture tortueuse, il faut s’accrocher pourtant pour découvrir le dénouement, la surprise finale, car les phrases sont longues et parfois ennuyeuses.
Extrait
"Jane est sur le point de pénétrer dans le wagon et remonte le couloir. Elle trouve son compartiment, en fait coulisser la porte et s’installe. Lorsqu’elle déplie son magazine, l’homme rejoint la partie arrière de la camionnette et soulève une bâche. Le dispositif n’est pas si gros, finalement. Fermeture des portes, départ du train. Jane entame sa lecture et tente de comprendre un article sur l’infiniment petit. Elle le trouve rébarbatif, abscons, change de page. A quoi bon s’ennuyer avec des atomes ? Sous peu, son existence va pourtant être conditionnée par une question d’atomes dont les noyaux ne tarderont pas à se briser lors d’une collision avec des neutrons ; ce carambolage va libérer des neutrons qui, à leur tour, vont casser d’autres atomes, lesquels atomes vont libérer des neutrons qui, bref, une réaction en chaîne est sur le point de se produire."
Nord absolu, Fabrice Lardreau, éditions Belfond. Page 102
Interview de l’auteur :
http://www.lepoint.fr/actualites-litterature/2009-09-10/interview-fabrice-lardreau-je-voulais-comprendre-comment-on-bascule-dans-le/1038/0/376111